Scotty Moore, la guitare d’Elvis s’est éteint .....
Dans l'ombre du King à ses débuts, il fut l'un des inventeurs de la guitare rock. Son style étincelant fit des émules prestigieux : Keith Richards, George Harrison, Jimmy Page ou Bruce Springsteen. Il est mort à Nashville, âgé de 84 ans.
Le premier cri du rock'n'roll n'aurait pas été parfait si, à côté d'Elvis Presley – déhanchement, voix de velours griffée par un chat sauvage – n'avait étincelé la guitare de Scotty Moore, pendant que Bill Black « slappait » le rythme à la contrebasse. Le 5 juillet 1954, au studio Sun de Memphis, ces trois-là inventent un truc en brusquant le tempo d'un blues, That's all right. Elvis a 19 ans, c'est un chien fou bientôt lancé dans le jeu de quilles de la célébrité. Scotty en a 23, dont quatre passés dans la marine américaine. Son style emprunte au picking country de Chet Atkins, maître du genre, mais le tire aussi vers un phrasé blues – sur ces deux pieds-là gigotera le rockabilly.
Un son clair et tranchant, nimbé d'un écho sorti de son ampli spécial, ajoute au chant effronté d'Elvis son frisson électrique. Trois années durant, il en sera le parfait complément. Puis la prime au chanteur et le culte de l'idole écriront la suite de l'histoire, laissant de côté les seconds rôles. Scotty Moore va rester l'un des deux larrons souriants qui encadrent le jeune Apollon plouc, pas encore fait roi, sur la pochette de l'album The First Year (publié longtemps après). Bonne tête anonyme, qui pourrait être d'un comptable ou d'un fermier, juste coiffée d'une banane courte.
En ces temps pionniers du rock, les seuls guitaristes un peu pris en considération sont aussi des chanteurs : Chuck Berry en est le meilleur exemple, Buddy Holly suivra. Scotty Moore est lui le prototype d'un genre pas encore banalisé. Imagine-t-on Mick Jagger sans les riffs de Keith Richards ? Le pirate des Stones a un jour avoué sa dette éternelle envers son discret aîné : « Tout le monde voulait être Elvis. Moi je voulais être Scotty ». Entre 1954 et 1957, la Gibson demi-caisse du guitariste imprime sa marque sur les hits que le label Sun sort à une cadence folle : Blue suede shoes, Hound dog, Jailhouse rock, Mystery train, Heartbreak Hotel. Sur ce dernier titre, au départ une ballade, mais que Presley transforme en appel déchirant, Moore adopte un son plus agressif, dont l'écho va traumatiser les apprentis de la six-cordes jusqu'en Grande-Bretagne et ailleurs. La guitare rock est née.
Dans un classement forcément discutable des 100 Greatest Guitarists, le magazine Rolling Stone a fait figurer Scotty Moore au vingt-neuvième rang. On notera simplement que sur les vingt-huit qui le précèdent, plus de la moitié lui sont redevables. Aujourd'hui encore, les Johnny Marr ou Richard Hawley peuvent se revendiquer de son héritage. Rencontré il y a quelques mois, le crooner de Sheffield nous confiait son admiration : « Quand j'entendais ses parties de guitare sur les premiers Presley, je n'imaginais pas à quel point ce qu'il jouait était compliqué. Ça avait l'air si simple ! C'est juste que le gars avait une technique incroyable. Une vraie bombe. » Apprenant la mort de son modèle, Hawley a été l'un des premiers à poster sur Instagram : « Merci, merci, merci, Scotty d'avoir donné forme à mon univers… »
The guitar that changed the world est le titre tonitruant d'un album instrumental qui ne fit pas grand bruit. On était en 1964 et l'idylle de Scotty Moore avec Elvis avait pris fin six ans plus tôt. Dès 1957, le guitariste s'est lassé d'être un comparse sous-payé, méprisé par le « Colonel » Tom Parker, manager envahissant du King. Il se plaindra amèrement de ne plus pouvoir adresser la parole au chanteur avec qui il pensait former un vrai groupe : celui-ci a même eu un nom, les Blue Moon Boys, trio augmenté en chemin par le batteur D.J. Fontana.
La vieille complicité sera brièvement renouée en 1968, à l'occasion du « come-back » télévisé d'Elvis. Le reste de sa carrière s'est déroulé à l'ombre de sa légende furtive. De temps en temps, on le ressortait du placard pour un hommage occasionnel, ainsi sa participation à l'album All the King's men, en 1997, aux côtés de Keith Richards, Paul McCartney ou Levon Helm (The Band). Jamais loin de la musique, Scotty Moore a quelque temps dirigé un studio d'enregistrement. Il est mort chez lui le 28 juin 2016 à Nashville, à l'âge de 84 ans.
FrançoisGORIN/Télérama